Le musée Zadkine présente « Chana Orloff. Sculpter l’époque » la première exposition parisienne monographique dédiée à l’artiste depuis 1971. La mise en scène du parcours chrono-thématique invite les visiteurs à entrer dans l’intimité d’une centaine de créations de Chana Orloff (1888-1968) dont une grande « portraithèque » aux lignes épurées, une série de sculptures en bois, en bronze, en ciment, en plâtre et en pierre, représentant des bustes, des corps d’hommes, de femmes, de couples, également des animaux et quelques sculptures de poche… Plusieurs sculptures en pied dialoguent avec celles d’Ossip Zadkine dans le jardin. Dans l’atelier de Zadkine, des œuvres de l’après-guerre sont exposées dont l’émouvante Maternité Ein Gev créée en 1952 pour l’État d’Israël en commémoration des combattants du kibboutz Ein Gev, morts lors de la guerre de 1948. Cette maternité symbolise l’espoir. Une série de petits films amateurs nous montrent Chana Orloff au travail et quelques outils, carnets et dessins sont aussi exposés.
Jeune femme juive d’origine russe, Chana Orloff arrive à Paris en 1910 pour étudier la couture. Comme Chana Orloff est très douée en dessin, elle est admise à l’École des arts décoratifs et se lie rapidement d’amitié avec les artistes de Montparnasse rencontrés à l’académie Vassilieff : Chagall, Modigliani et Soutine. Elle y croise très certainement Zadkine ; tous deux ont plusieurs points communs, notamment leur formation artisanale d’origine, la menuiserie pour Zadkine et la couture pour Orloff, leurs origines russes et surtout, ils sont passionnés pour l’humain et cherche toujours à exprimer la vie. Chana Orloff forge très tôt son propre style, tout comme Zadkine, ils se sont éloignés des codes académiques.
Encore peu ou pas assez connue en France, Chana Orloff est pourtant une artiste emblématique du XXe siècle dont le succès fut assuré dans les années 1920 grâce aux commandes réalisées pour des portraits d’artistes, de célébrités, d’intellectuels, d’écrivains et d’enfants. Elle fut la grande et célèbre portraitiste de Montparnasse.
Orloff sculpte l’époque, sculpte la vie.
Ses portraits figuratifs, parfois cubistes, sont souvent emprunts d’humour, frôlant la caricature. Orloff s’est allier le réalisme et la dérision, en accentuant les traits saillants. L’artiste manie l’art de l’épure avec talent.
Sous la grande verrière du musée Zadkine, les sculptures dévoilent le style personnel et inimitable de Chana Orloff aux formes rondes et lisses. Aucun portrait ne se ressemble car Chana Orloff se renouvelle sans cesse. On peut admirer les premières sculptures de l’artiste tel que Le Torse, réalisé en ciment en 1912. L’artiste a 24 ans…
Chana Orloff saisit la fluidité et la grâce des mouvements. La beauté et la pureté des formes, en rupture avec la tradition académique, nous touchent. On visualise l’inspiration orientale puisée au musée du Louvre où Chana Orloff allait souvent. Elle chérissait l’égyptologie et la Renaissance italienne.
Dans la salle suivante des formes stylisées s’élèvent, célèbrent des danses, des couples fusionnent, des bustes de femmes élégantes rayonnent.
Le bronze Amazone conçue en 1915, pourrait bien être un autoportrait symbolique d’Orloff, femme indépendante, forte, libre et solide.
Le thème de la fusion des corps est caractéristique de l’œuvre de Chana Orloff. Elle-même était fusionnelle avec Élie, son fils unique. Dès le début de sa carrière, le sujet de la maternité est central dans son œuvre. C’est une Maternité qui naît du premier bois sculpté par l’artiste en 1914. Elle est suivie d’une vingtaine d’œuvres sur ce même motif. Épousant l’évolution de son style, ses créations retracent aussi l’histoire de sa propre expérience de mère avec Moi et mon fils puis de grand-mère avec la Maternité allaitant qui représente sa belle-fille Andrée et sa petite-fille Ariane. Elle sculpte aussi des femmes enceintes, thème très peu traité en sculpture. L’artiste joue des catégories et des codes pour représenter des femmes différentes. Chana Orloff a aussi fait des gravures et de nombreux dessins.
Un ensemble de sculptures animalières empruntes d’humour, de symbolisme et d’analogies sont également présentées dans la salle située près de la petite verrière où trône le splendide nu Femme accroupie.
Lorsque Chana Orloff rentre de son exil en Suisse causé par la guerre 39-45, elle découvre que ses œuvres ont été spoliées. Le musée d’art et d’histoire du Judaïsme de Paris propose actuellement une exposition sur ce thème.
Dès 1945, Chana Orloff abandonne le modelé lisse et rond, elle crée des sculptures en accidentant la matière, déchiquetée pour exprimer les souffrances de la guerre. Le Retour, exposé dans l’atelier de Zadkine au fond du jardin incarne sa désillusion et les horreurs des camps de concentration. Plus tard, elle tend vers l’abstraction, un bel exemple est le couple de perroquets appelé Inséparables, créé en 1955.
Le jour du vernissage presse fut particulièrement émouvant et instructif car Ariane Tamir et Éric Justman, les petits-enfants de Chana Orloff étaient présents. Ils dirigent les ateliers-musée Chana Orloff. La maison-atelier où ils ont habité avec leur arrière-grand-mère se visite sur rendez-vous depuis l’an 2000. Cette magnifique demeure a été conçue par l’architecte Auguste Perret en 1926, spécialement pour Chana Orloff. Ils étaient très proche de Chana Nana, comme ils la surnommaient. Tous les samedis elle leur cuisinait un bon repas puis ils jouaient ensemble aux cartes. Chana Nana était très affectueuse et généreuse, souligne Ariane, elle invitait très souvent ses amis à dîner.
Ce don de soi se ressent pleinement dans toutes ses créations, les enfants ont des joues gonflées de bonheur, les bustes illustrent la sérénité, les animaux semblent sortis de contes mystiques, les couples enlacés ou fusionnels révèlent beaucoup de tendresse, la fluidité des formes courbes, douces et sinueuses transcende.
Chana Orloff a œuvré toute sa vie en étant très concentrée, bien ancrée dans l’instant présent, glorifiant le travail et la vie. L’exposition « Chana Orloff. Sculpter l’époque » est absolument superbe.
Florence Courthial
Le catalogue de l’exposition est la première publication scientifique d’envergure en français, dédiée à Chana Orloff depuis 1992. Il est composé d’essais et de textes thématiques explorant les facettes les plus importantes de son travail et de sa vie, rédigés par des spécialistes de cette période.
16 x 24 cm, relié, 192 pages, 130 illustrations, 30 €, Éditions Paris Musées
Une riche programmation associée à l’exposition est en cours, avec des visites guidées mensuelles, des visites imaginaires, des visites promenades, un cycle de conférences, des parcours croisés, des nuits de la lecture, le printemps des poètes, …
Lieux où d’autres expositions de sculptures de Chana Orloff sont actuellement visibles :
Musée d’art et d’histoire du Judaïsme
www.mahj.org/fr
Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
La magnifique et passionnante exposition Le Paris de la modernité, 1905-1925
www.petitpalais.paris.fr/
La maison-atelier au 7 bis, Villa Seurat, 75014 Paris
Sur réservation :
www.chana-orloff.org