À la cour du Prince Genji

1000 ans d’imaginaire japonais

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Premier roman de l’Histoire, écrit par une femme au XIe siècle, Murasaki Shikibu, le « Dit du Genji » raconte l’histoire des intrigues amoureuses du prince impérial, Hikaru Genji, dans le raffinement de la cour du Japon. Une époque de paix et de créativité où les femmes acquièrent une certaine liberté. C’est un roman féminin devenu mythique, illustré dès sa parution. Il inspire les créateurs japonais depuis mille ans et continue encore de fasciner la nouvelle génération dont les mangakas contemporains. La scénographie de l’exposition plonge les visiteurs dans le Japon traditionnel et l’univers des mangas animés japonais. Quatre rouleaux tissés par Maître Itaro illustrant le Dit du Genji sont présentés déroulés sur plus de trente mètres de long. Cette exposition est un pur enchantement. Jusqu’au 25 mars 2024.

Célèbre pour le raffinement extrême de son art de cour et son effervescence artistique, le Japon impérial de l’époque de Heian (794-1185) a notamment donné naissance à une œuvre majeure de la littérature classique japonaise, le Dit du Genji. Écrit au XIe siècle par une femme, la poétesse Murasaki Shikibu (vers 973 – vers 1014-1025), et considéré comme le premier roman psychologique de l’Histoire, le Dit de Genji est à l’origine, depuis sa création il y a mille ans, d’une iconographie extrêmement riche, influençant les mangakas contemporains.

Cinquante-quatre chapitres permettent de comprendre la vie de cour et la vie de cette époque (peu connue en France). Chaque chapitre est une allégorie et la manière d’appréhender les personnages est novatrice. Les rapports humains y sont parfaitement analysés. L’intrigue se déroule sur une période de soixante-quinze années et présente plus de cinq cents personnages.

Le Dit de Genji a ainsi inspiré de nombreux artistes et artisans du Japon à travers les siècles, parmi lesquels Itarô Yamaguchi (1901-2007), maître tisserand à Kyoto, dont quatre rouleaux tissés sont présentés pour la première fois dans leur intégralité. Ces chefs-d’œuvre sont exceptionnels !

La première partie de l’exposition invite le visiteur à se plonger dans le Japon ancien, à travers l’évocation d’une architecture traditionnelle. Il découvre et explore l’époque Heian (794-1185) et son art de cour. Cette période de liberté pour les femmes, et à la production artistique particulièrement riche, voit l’émergence d’une littérature féminine, unique dans l’histoire du Japon. Si la poésie chinoise kanshi reste l’apanage des élites masculines gouvernantes, les femmes, elles, s’emparent des poèmes de style waka qu’elles rédigent à l’aide d’un système d’écriture cursive dérivé du chinois et adapté à la langue japonaise d’alors. Affranchies du modèle chinois, elles vont produire des œuvres mêlant waka et prose, sous forme de journaux ou d’histoires racontées.

Texte le plus célèbre, écrit au XIe siècle par la célèbre poétesse Murasaki Shikibu, le Dit du Genji (Genji monogatari) est aujourd’hui considéré comme l’œuvre la plus représentative de la littérature classique du Japon.

À travers une évocation subtile de tous les raffinements de la cour impériale, le Dit du Genji ouvre la voie à une exceptionnelle créativité picturale et suscite une iconographie extrêmement riche, qu’attestent laques, estampes, tissus, kimonos, sculptures, peintures et objets précieux, provenant du musée Guimet et de plusieurs collections françaises et japonaises. Marie-Antoinette elle-même collectionnait des boîtes en laque représentant des scènes du Genji…

Ce roman fondateur pour la culture japonaise a inspiré de nombreux artistes et artisans jusqu’à nos jours, et jusqu’aux nouvelles formes d’art. Le manga notamment, qui réinterprète les codes picturaux, les thèmes et les scènes de l’histoire du Genji avec une époustouflante inventivité, dont le plus célèbre est sans doute Asaki yume mishi de Waki Yamato (né en 1948).

Œuvre magistrale, le Dit du Gengi est encore adapté de nos jours, comme en témoigne la récente édition de Sean Michael Wilson, illustrée par Inko Ai Takita, qui tapisse les murs et le sol d’un des espaces muséaux de l’exposition.

La seconde partie est consacrée à Itarô Yamaguchi (1901-2007), maître tisserand du quartier de Nishijin à Kyoto, qui a tissé et offert au musée Guimet quatre formidables rouleaux illustrant le Dit du Genji, représentant l’aboutissement d’une vie consacrée au tissage. Réalisés d’après des rouleaux peints de l’époque Heian, et par hybridation avec la haute technicité occidentale de la mécanique Jacquard et son avatar numérique, les quatre rouleaux exceptionnels sont montrés pour la première fois, ensemble et déroulés dans leur intégralité. Ils sont présentés avec des objets du quotidien, dessins préparatoires et œuvres tissées par le maître.

PARCOURS DE L’EXPOSITION

Introduction

Le Dit du Genji témoigne de la sophistication de la cour impériale alors à son apogée et de l’avènement d’une culture spécifiquement japonaise. Cette période est marquée par des bouleversements politiques comme le déplacement de la capitale de Nara à Heian-kyo (future Kyoto) et l’influence grandissante de la famille Fujiwara dans les affaires de l’empire. Elle est également celle de l’essor du bouddhisme au Japon.

L’écriture évolue grâce à la réforme de l’éducation et à une simplification des kanjis. Ces idéogrammes, hérités de la Chine, restent l’apanage des lettrés japonais mais vont être transformés en hiragana, une écriture cursive adaptée à la langue japonaise appelée, à l’origine, onnade (main de femme). Grâce à cet accès plus aisé à l’écriture, la littérature féminine japonaise va prendre un essor considérable. Dans le Dit du Genji, Murasaki Shikibu s’inspire de la vie de la cour, des hommes et des femmes, dans leurs complexités et leurs évolutions sociales et psychologiques. Elle met en scène des individus soucieux de leur salut au moment où le bouddhisme s’ancre dans les mœurs et rencontre les croyances locales. C’est ainsi que cette œuvre devient le creuset d’une nouvelle identité japonaise et une source d’inspiration pour tous les artistes, d’hier et d’aujourd’hui. Cette époque voit aussi la naissance du kimono.

L’époque de Heian et la littérature féminine

Les deux derniers siècles de l’époque de Heian voient s’épanouir une littérature féminine unique dans l’histoire du Japon. Les femmes aristocrates de l’époque de Heian sont tenues à l’écart de la vie politique et sociale. Mais relativement libres de leur temps, leurs vies sont comblées par les arts, l’étude, la religion, les intrigues de cour, les relations galantes. Ne participant pas directement à la vie politique, elles sont, en revanche, en première ligne pour l’observer. La littérature féminine se développe alors à la cour où émergent plusieurs figures littéraires : Sei Shonagon, Ono no Komachi et, bien sûr, Murasaki Shikibu, qui jouissent d’une reconnaissance jamais démentie. Les ouvrages fondateurs qu’elles publient témoignent d’une culture en gestation et d’une époque. Aidées par la mise en place d’une nouvelle écriture, elles vont produire des œuvres mêlant poésie (waka, petits poèmes très en vogue à l’époque de Heian) et prose, sous forme de journaux, ou d’histoires racontées (monogatari). L’humanité de ce nouveau genre continue de nous interpeller. L’appréciation de cette littérature poétique et romanesque ne se manifeste pas uniquement dans le récit lui-même et dans la manière de le présenter. La calligraphie joue un rôle majeur dans la présentation de l’histoire.

« Le cerisier en vérité nous enseigne par sa floraison et par son rouge feuillage que ce monde est éphémère. »

Poème issu du livre 47

Le Dit du Genji

Le Dit du Genji (Genji Monogatari)  narre la vie et les intrigues amoureuses du prince impérial Hikaru Genji, qui ne peut prétendre au trône. Le texte séduit par son intrigue, riche en rebondissements, par les attraits du personnage principal et des centaines d’autres qui y apparaissent. Le sens aigu de l’observation dont fait preuve Murasaki Shikibu, mêlé de profondes réflexions sur l’amour et le sentiment éphémère des choses que l’on retrouve tout au long de l’œuvre, étayé par la profonde érudition de l’autrice sur la culture et l’histoire de la Chine et du Japon, n’ont cessé de séduire les lecteurs au cours des siècles. Les poèmes rythment l’ensemble du récit, expriment les sous-entendus des situations, les ressentis et pensées profondes des personnages.

Parce qu’il impose un nombre d’idéogrammes déterminé, le waka contraint à une écriture à la fois incisive et évasive. Le bouddhisme constitue la toile de fond de l’œuvre. L’importance accordée au respect des rites pour maintenir la paix et la pérennité du royaume souligne le lien qui unit l’homme au tout cosmique. Le recours aux cérémonies magiques bouddhiques, la recherche d’un salut dans le monde à venir animent la cour et les personnages.

 

Le Dit du Genji dans l’estampe : les parodies

La multitude des scènes décrites dans le Dit du Genji explique l’engouement des artistes pour l’œuvre depuis le XIIe siècle. Une attention particulière est portée aux contextes des événements, aux lieux mais aussi aux saisons, éléments primordiaux dans l’art pictural japonais. Les sakuras, souvent illustrés dans l’iconographie japonaise, refleurissent à chaque printemps et ne vivent que quelques semaines. Ils symbolisent l’éphémère, partie intégrante de la philosophie japonaise.

L’invention de la gravure sur bois au XVIIe siècle va offrir un nouveau support et permettre aux grands maîtres de l’estampe de renouveler l’imaginaire des scènes les plus célèbres du Dit du Genji parfois réinterprétées ou réadaptées à la mode contemporaine. La publication d’une version parodique du roman par Ryutei Tanehiko (1783-1842), le Dit du Genji provincial de la pseudo-Murasaki, publié entre 1829 et 1842, fera évoluer l’iconographie de l’œuvre dans de nouvelles directions. Utagawa Kunisada (1786-1864) dit Toyokuni III, produira des œuvres dans cette veine. Pour rendre plus accessible l’œuvre originale, l’auteur n’hésite pas à changer de cadre temporel et à transformer les waka en haiku (forme de poésie inventée au XVIIe siècle). La profusion de détails et la qualité des productions de l’artiste ont largement contribué au succès du livre parodique.

Le Dit du Genji, un manga à succès

Le Dit du Genji transcende les genres et inspire, artistes, cinéastes, comédiens, musiciens, mangakas, … De par sa simplification narrative et son style dynamique, le manga donne une vision renouvelée de l’intrigue et de l’imaginaire du roman. À ce jour, l’un des mangas les plus connus est Asaki yume mishi de Waki Yamato (né en 1948) vendu à plusieurs millions d’exemplaires. Le récent Dit du Genji en français, illustré par Inko Ai Akita et adapté par Sean Michael Wilson se réapproprie le récit tout en l’adaptant au format du manga.

Sanazaki Harumo (née en 1957), mangaka, a débuté sa carrière en publiant dans le magazine Hitomi. Elle aussi s’est emparée du roman pour en donner son interprétation à l’instar de Gisaburo Sugii (né en 1940), réalisateur, qui adapte en animé le roman en 1987. Toutes et tous peuvent se retrouver dans ce récit qui entremêle intrigues amoureuses, scandales et poésie. La pérennité de cette histoire, comme source d’inspiration pour les artistes, illustre sa richesse et l’intelligence sensible de Murasaki Shikibu qui a bien su saisir l’humanité dans ce qu’elle a de plus essentiel.

La révolution technique du métier Jacquard

Depuis la Renaissance, la ville de Lyon est reconnue pour la qualité de ses productions soyeuses. En 1850, une maladie, la pébrine, décime les vers à soie, menaçant de détruire cette industrie. Le Japon, qui commence à ouvrir ses frontières, va se placer en pays fournisseur de vers à soie et ainsi sauver la production lyonnaise. France et Japon vont alors tisser des liens forts. Nombre de délégations françaises vont s’installer au Japon et, en 1872, une délégation japonaise de tisseurs de Nishijin se rend à Lyon pour étudier le métier à tisser inventé par Joseph-Marie Jacquard en 1804. L’histoire du quartier Nishijin de Kyoto remonte au début de la période de Heian (794-1185), avec la création d’un atelier rattaché à la cour impériale. Sous le patronage de l’aristocratie, qui possédait un sens aigu de la beauté et ne rechignait pas à la dépense, les tissus de Nishijin ont toujours bénéficié des techniques de tissage les plus avancées. C’est ainsi que ces tisseurs vont prendre l’initiative d’intégrer le métier Jacquard dans leurs ateliers afin de réduire le coût de production du textile, tout en augmentant le rendement. Plus tard, sera fondée une école d’apprentissage afin de pérenniser les principes d’utilisation des mécaniques Jacquard. Elles sont définitivement adoptées par les japonais lorsque, en 1876, Seishiji Hasegawa parvient à créer le premier métier Jacquard japonais en bois.

Itarô Yamaguchi et le Dit du Genji

Maître Itarô Yamaguchi (1901-2007) naît le 18 décembre 1901 dans une famille de tisseurs de soieries du quartier Nishijin à Kyoto. Il commence très jeune à tisser sur un métier à mécanique Jacquard pour de riches commanditaires, notamment des ceintures de kimonos. En 1920, il fonde une fabrique de tissage. Après cinquante ans de carrière, à l’âge de 70 ans, Maître Yamaguchi décide de « laisser un chef-d’œuvre qui serait la concrétisation des plus hautes qualité et technicité atteintes dans l’utilisation du métier Jacquard ». Il souhaite montrer qu’en dépit du développement des métiers industriels qui, selon lui, freinent l’imagination, la créativité existe encore. Après avoir observé les rouleaux peints du Dit du Genji datant du début du XIIe siècle, conservés au musée Tokugawa de Nagoya et au musée Goto de Tokyo, il décide de reproduire en tissage cette œuvre, Trésor national. Il rassemble autour de lui un ensemble de spécialistes pour l’aider à interpréter au mieux la complexité de la peinture et de ses couleurs et va, dès lors, consacrer les trente-sept dernières années de sa vie à ce travail considérable.

Une technique poussée vers la perfection

Les rouleaux originaux sont composés de deux parties : des scènes illustrées représentant des épisodes du Dit du Genji et des calligraphies du texte. Sur la plupart des rouleaux tissés, les deux éléments sont réalisés dans une technique dérivée du double-étoffe : une superposition de plusieurs nappes d’étoffes tissées les unes au-dessus des autres qui vont se lier ensemble. Le décor et le fond du tissu sont programmés à la mise en carte, reproduction sur un papier quadrillé du dessin à tisser : Maître Yamaguchi élabore un dessin préparatoire d’après la peinture originale, parfois agrandi et monté en paravent, puis effectue la mise en carte avant de procéder au piquage des cartons Jacquard pour le tissage. Ses recherches le conduisent à multiplier les essais, notamment pour les effets de transparence. Le maître combine plusieurs « méthodes de tissage venues du monde entier [qu’il a] essayé de pousser vers leur perfection ». Il précise : « Pour moi, l’histoire du Nishijin, […] c’est aussi la quête de la perfection et [la volonté] de synthétiser les meilleurs procédés et de les mener à leur paroxysme. »

L’histoire de la donation

À l’occasion de l’exposition Kesa, Manteau de nuages présentée au Japon en 1994, Krishnâ Riboud, grande spécialiste des textiles asiatiques, rend visite à Maître Itarô Yamaguchi à Kyoto. Ce dernier lui montre les deux premiers rouleaux, tissés en 1986 et en 1990. Conscient de l’importance de l’introduction du métier Jacquard dans les ateliers de Nishijin, il exprime alors son désir d’offrir au musée Guimet ces deux œuvres, afin de rendre hommage à la France, patrie de Joseph-Marie Jacquard. Le 6 avril 1995, Maître Yamaguchi, âgé de 94 ans, se rend à Paris pour remettre les deux rouleaux au musée. Pendant son voyage, il tient absolument à se rendre au musée national du Moyen Âge pour y admirer la tapisserie de la « Dame à la licorne » et étudier la technique utilisée pour rendre la transparence. En 2002, le troisième rouleau rejoint à son tour les réserves du musée Guimet. Le quatrième, achevé en 2008 par le maître tisserand Kunio Tamura, disciple et complice du maître pendant de très longues années, vient compléter cette remarquable série.

 

À la cour du Prince Genji, 1000 ans d’imaginaire japonais

Exposition présentée jusqu’au 25 mars 2024

 

Musée national des arts asiatiques – Guimet

6, place d’Iéna, 75116 Paris

Ouvert tous les jours de 10h à 18h sauf le mardi

Tél. +33 1 56 52 54 33

Une très riche programmation autour de l’exposition est proposée avec des visites commentées, des rencontres avec Aurélie Samuel, commissaire de l’exposition, des visites guidées pour adultes ou en famille, des conférences, des rencontres, des journées thématiques, des films, des concerts et des activités artistiques pour tous les publics.

À découvrir sur www.guimet.fr

 

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